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Bénin/Révision de la Constitution: Duel fratricide entre le « Oui » et le « Non »

Les choses se précisent pour la révision de la Constitution. Après les rumeurs, la proposition de loi a été finalement déposée par l’Honorable Seibou Assan, président du Groupe parlementaire Bloc Républicain (BR) et réceptionnée le vendredi 26 janvier au niveau de l’Assemblée Nationale. La loi dissidente survient alors dans une atmosphère politique délétère où, le « Oui » et le « Non » vont s’affronter dans un duel épique. Peut-être qu’il va falloir recourir au référendum pour départager les uns et les autres.

Qui du « Oui » ou du « Non » prendra le dessus dans cette proposition de loi de révision de la Constitution ? Difficile de le dire. Une évidence, ce n’est plus une rumeur. Une proposition de loi de révision de la Constitution vient d’être introduite par le député Seibou Assan, président du Groupe parlementaire du Bloc Républicain (BR) le vendredi 26 janvier 2024 dernier à l’Assemblée Nationale. Et déjà, des voix s’élèvent pour des avis divergents sur cette volonté du président Patrice Talon de vouloir toucher pour une deuxième fois la loi fondamentale du Bénin. Pour la mouvance présidentielle cette proposition qui comporte deux volets (modification du Code électoral et révision de la Constitution) est nécessaire pour faire avancer les choses dans le cadre des prochaines élections générales et présidentielles de 2026. Pour l’opposition, en l’occurrence le parti « Les Démocrates » de l’ancien président Boni Yayi, cette proposition ne pourra pas prospérer en ce sens qu’elle viserait à permettre au président Patrice Talon déjà forclos  à détenir des manœuvres pour « imposer » un des siens pour 2026. Dans cet imbroglio politico-juridique, seul le référendum pourrait départager les uns et les autres au cas où, le consensus ne sera pas requis.

Le référendum, le dernier recours

En l’état, cette proposition de loi de révision de la Constitution pourrait donner lieu à une bataille rangée entre la mouvance présidentielle et l’opposition. Créditée de 28 députés sur les 109 que constituent l’Assemblée Nationale, le parti de l’opposition « Les Démocrates » dispose d’une minorité de blocage lorsqu’il s’agira de disposer des 4/5 pour passer directement à la révision. Avec ses 82 députés, la mouvance présidentielle (Up-R et BR) aura besoin de 87 députés pour faire passer cette loi sur la révision. Et si l’opposition restait de marbre, la seule alternative serait de recourir au schéma de ¾ donc les 82 députés pour le référendum. Dans ce cas de figure, il revient au peuple de décider à travers un vote. Un cycle qui revient à chaque fin de deux  mandats depuis Feu Général Mathieu Kérékou. Si pour les deux précédents cas,  les projets sont restés mort-nés, peut-être que la troisième tentative sous Patrice Talon pourrait prospérer. Le hic, c’est que le peuple reste méfiant à ces genres de projets de révision en fin de mandat. En effet, dans ce climat de suspicion et compte tenu ce qui se passe sous d’autres cieux, le peuple se méfie toujours. Donc, on croise les doigts et on attend.

Ambroise ZINSOU

(Lire la proposition de loi et l’analyse qui l’accompagne).

I – EXPOSE DES MOTIFS

Par la loi n°2019-40 du 7 novembre 2019 portant révision de la loi n°90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin, le législateur a institué l’organisation d’une année électorale dans le but de l’alignement pertinent des élections en vue de correspondre la durée de tous les mandats électifs et d’assainir le rythme des élections. Les dispositions prévues à cet effet sont :

Article 153-1 :

« A titre d’élections générales, sont organisées dans une même année électorale, les élections législatives et communales simultanément, puis l’élection du président de la République.

Seules les listes ayant recueilli un minimum de suffrages exprimés au plan national pour chacune des élections, sont admises à l’attribution des sièges.

Ce seuil est fixé par la loi ».

Article 153-2 :

« Les élections couplées, législatives et communales, sont organisées le deuxième dimanche du mois de janvier de l’année électorale.

Les députés élus à l’Assemblée nationale entrent en fonction et sont installés le deuxième dimanche du mois de février de l’année électorale.

Les conseillers communaux élus entrent en fonction et sont installés entre le premier et le troisième dimanche du mois de février de l’année électorale ».

Article 153-3 :

« L’élection du duo président de la République et vice-président de la République est organisée le deuxième dimanche du mois d’avril de l’année électorale.

Un second tour de scrutin est organisé, le cas échéant, le deuxième dimanche du mois de mai.

En aucun cas, l’élection du duo président de la République et vice-président de la République ne peut être organisée simultanément avec les élections législatives et les élections communales.

Dans tous les cas, le duo président de la République et vice-président de la République élu entre en fonction et prête serment le quatrième dimanche du mois de mai ».

L’article 153-1 alinéa 1 de la Constitution qui fixe l’ordre des élections au cours de l’année électorale, manque de préciser, en ce qui concerne la présidentielle, qu’il s’agit de l’élection du duo président de la République et vice-président de la République.

Ensuite, cette disposition fait précéder les élections législatives et communales de celle du duo président de la République et vice-président de la République. Or, l’ordre ainsi établi, d’une part, révèle des dysfonctionnements sur le terrain pratique et, d’autre part, affecte la nature du régime présidentiel.

Sur le terrain pratique en effet, l’organisation des élections législatives et communales avant l’élection du duo président de la République et vice-président de la République rend difficile l’organisation de la délivrance des parrainages par les élus procédant tous d’une même origine électorale. La décision DCC n°24-001 du 4 janvier 2024 a révélé quelques aspects de la rupture d’égalité entre les parrains de sorte que la haute juridiction a enjoint à la Représentation nationale de procéder à la correction du Code électoral. Toujours sur le terrain pratique, si la Constitution confère aux élus nationaux et communaux le pouvoir de parrainer les candidats à l’élection du duo président de la République et vice-président de la République, c’est en raison de leur légitimité politique. Or, en l’état actuel du dispositif, certains élus auraient parrainé en ayant perdu les élections ou en n’étant plus candidats à ces élections.

L’élection présidentielle est l’élection majeure dans un régime présidentiel. Parce que le président de la République est le titulaire du pouvoir exécutif et la clé de voute du régime constitutionnel et du système politique. A ce titre, l’élection du duo président de la République et vice-président de la République devrait être le fer de lance des séquences politiques déterminée par l’alignement des mandats électifs.

L’organisation des élections législatives et communales avant celle du duo président de la République et vice-président de la République n’est pas conforme à la nature présidentielle de gouvernance politique, économique et sociale.

Enfin, les alinéas 2 et 3 de cette même disposition de l’article 153-1 dispose que :

« Seules les listes ayant recueilli un minimum de suffrages exprimés au plan national pour chacune des élections, sont admises à l’attribution des sièges.

Ce seuil est fixé par la loi ».

Or, l’article 81 de la Constitution avait déjà fixé, quasiment à l’identique, que :

« La loi fixe le nombre des membres de l’Assemblée nationale, les conditions d’éligibilité, le minimum de suffrages à recueillir par les listes de candidatures au plan national pour être éligibles à l’attribution des sièges, le régime des incompatibilités et les conditions dans lesquelles il est pourvu aux sièges vacants.

La Cour constitutionnelle statue souverainement sur la validité de l’élection des députés ».

Les alinéas 2 et 3 de l’article 153-1 de la Constitution constitue une réitération inutile et confuse de l’article 81 de la même Constitution.

En conclusion

1°) Il est proposé d’inverser l’ordre des élections en ce que cette inversion rétablit la prééminence des élections présidentielles dans le cycle électoral. Par ailleurs, cette inversion constitue également une solution législative qu’appelle la décision DCC n°24-001 du 4 janvier 2024 rendue par la Cour constitutionnelle, en vue de satisfaire aux principes de l’égalité et de légitimité des parrains.

Pour y parvenir, il suffit de modifier l’article 153-1 alinéa 1 ainsi qu’il suit : Article 153-1 alinéa 1 modification proposée : « A titre d’élections générales, sont organisées dans une même année électorale, l’élection du duo président de la République et vice-président de la République, puis, simultanément, celle des députés et des conseillers municipaux ».

2°) Il est proposé, pour une meilleure clarté de la Constitution, de supprimer les alinéas 2 et 3 de l’article 153-1 de la Constitution et de restreindre l’article 153-1 à l’unique alinéa.

3°) Consécutivement, il est proposé que les articles 153-2 et 153-3 qui déterminent la date des élections soient modifiés dans le sens d’organiser l’élection du duo président de la République et vice-président de la République le premier dimanche du mois de février, le second tour de cette élection pourrait être alors organisé le quatrième dimanche du mois de février. A la faveur de cette modification, il est également proposé de corriger la soumission du vice-président de la République à la prestation de serment et à l’entrée en fonction qui s’est malencontreusement glissée dans le quatrième et dernier alinéa de rédaction actuelle de l’article 153-3. Il est proposé que ce texte soit modifié comme suit :

« L’élection du duo président de la République et vice-président de la République est organisée le premier dimanche du mois de février de l’année électorale.

Un second tour de scrutin est organisé, le cas échéant, le quatrième dimanche du mois de février.

En aucun cas, l’élection du duo président de la République et vice-président de la République ne peut être organisée simultanément avec les élections législatives et les élections communales.

Dans tous les cas, le président de la République élu entre en fonction et prête serment le deuxième dimanche du mois de mars ».

L’article 153-2 fixant la période de l’organisation des élections législatives et communales pourrait devenir le nouvel article 153-3. Il est recommandé que les élections couplées législatives et communales soient organisées dans l’année électorale, après l’entrée en fonction du président de la République, pour une meilleure articulation politique et afin qu’il préside cette organisation. Dans ces conditions, le mois de mai est proposé, d’autant qu’il permet que ces élections soient organisées avant la saison des pluies. Enfin, l’installation des conseils municipaux relevant des prérogatives de l’administration, il est proposé qu’elle soit renvoyée à la loi.

Il est alors proposé de modifier l’article 153-2 (nouvel article 153-3) en vigueur comme suit :

« Les élections couplées, législatives et communales, sont organisées le troisième dimanche du mois de mai de l’année électorale.

Les députés élus à l’Assemblée nationale entrent en fonction et sont installés le deuxième dimanche du mois de juin.

Les conseillers communaux élus entrent en fonction et sont installés dans les conditions prévues par la loi ». Enfin, la crainte du troisième mandat exprimé par une partie de l’opinion publique mérite d’être prise en considération. Or, on a pensé que l’alinéa 2 de l’article 42 avait définitivement épargné le Bénin d’une telle dérive. Toutefois, la rédaction de ce texte paraît malheureuse et prêterait à plusieurs interprétations, y compris celle qui autorise une troisième candidature après une double élection.

Ce texte dispose en effet que :

« En aucun cas, nul ne peut, de sa vie, exercer plus de deux mandats présidentiels »

Il est proposé de réécrire l’alinéa 2 de l’article 42 comme suit :

« Dans tous les cas, nul ne peut, de sa vie, exercer plus de deux mandats présidentiels »

C’est au bénéfice de ces observations que je vous prie, monsieur le Président de l’Assemblée nationale, de soumettre à l’examen de la Représentation nationale la présente proposition pour son étude et son adoption.

II – PROPOSITION DE LOI

portant modification de la loi n°90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin modifiée par la loi n°2019-40 du 7 novembre 2019

L’Assemblée nationale a, conformément à la loi n°90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin modifiée par la loi n°2019-40 du 7 novembre 2019, délibéré et adopté en sa séance du…, la loi dont la teneur suit :

Article 1er :

Les alinéas 2 et 3 de l’article 153-1 sont supprimés.

Entre les articles 153-2 et l’article 153-3, l’ordre est inversé. En conséquence, l’article 153-2 est le nouvel article 153-3 ; l’article 153-3 est le nouvel article 153-2.

Sont modifiés, les articles 42 alinéa 2 ; 153-1 ; 153-2 ; 153-3 ainsi qu’il suit :

Article 42 alinéa 2 nouveau :

« Dans tous les cas, nul ne peut, de sa vie, exercer plus de deux mandats présidentiels »

Article 153-1 nouveau :

« A titre d’élections générales, sont organisées dans une même année électorale, l’élection du duo président de la République et vice-président de la République, puis, simultanément, celle des députés et des conseillers municipaux »

Article 153-2 nouveau :

« L’élection du duo président de la République et vice-président de la République est organisée le premier dimanche du mois de février de l’année électorale.

Un second tour de scrutin est organisé, le cas échéant, le quatrième dimanche du mois de février.

En aucun cas, l’élection du duo président de la République et vice-président de la République ne peut être organisée simultanément avec les élections législatives et les élections communales.

Dans tous les cas, le président de la République élu entre en fonction et prête serment le deuxième dimanche du mois de mars ».

Article 153-3 nouveau :

« Les élections couplées, législatives et communales, sont organisées le troisième dimanche du mois de mai de l’année électorale.

Les députés élus à l’Assemblée nationale entrent en fonction et sont installés le deuxième dimanche du mois de juin.

Les conseillers communaux élus entrent en fonction et sont installés dans les conditions prévues par la loi ».

Article 2 :

La présente loi constitutionnelle entre en vigueur dès sa promulgation et sera exécutée comme loi de l’État.