Apports des Directeurs Sportifs à la professionnalisation du football béninois: Encore du chemin à faire
*« Le Directeur Sportif est après tout, quelqu’un qui s’occupe du développement d’une structure sportive », Idrissou Mountari, Directeur Sportif Dynamo d’Abomey
* « Si les Directeurs Sportifs participent après trois ans sans avoir mis en place la formation par les clubs, c’est un échec…Le cœur du projet, c’est la formation », Abdeslam Ouaddou, Directeur Sportif de Loto-Popo
* « Il faut changer les DS qui n’ont pas un bilan à défendre et mettre quelques autochtones parmi eux pour booster la concurrence. Il en a de capables », dixit Wahab Adam Chabi, Président Section football de l’Aspac
* « Comme tout projet, il n’est pas parfait…L’objectif global, c’est faire progresser l’ensemble du football au Bénin », Jean-Marc Adjovi Bocco, Conseiller Technique du ministre des Sports
Dans le souci d’apporter une nouvelle touche à la gestion de la chose footballistique avec la construction de plusieurs stades omnisports, le chef de l’Etat Patrice Talon et le ministre des Sports, Oswald Homeky ont décidé d’emmener les entreprises d’Etat à investir. N’ayant pas pour vocation première le sport, il a été ainsi proposé à ces sociétés d’Etat, des Directeurs Sportifs (DS) afin de les accompagner à structurer leurs sociétés sportives à travers des projets sportifs propres. In fine, un contrat de trois ans a été passé à ces Directeurs Sportifs. A quelques semaines de la fin de leur contrat, la rédaction du journal VISA INFO se plonge dans l’univers de ces DS pour un bilan.
Dans sa volonté de professionnaliser le football béninois, le gouvernement de la République a mis en place une batterie de réformes. Au nombre de ces mesures, il y a la vague des Directeurs Sportifs. Ces hommes dont la mission consiste à aider les Sociétés Sportives d’Etat à mieux se structurer. Pour Idrissou Mountari, Directeur Sportif de Dynamo d’Abomey (club qui n’émane pas d’une société sportive d’Etat), « le Directeur Sportif est après tout quelqu’un qui s’occupe du développement d’une structure sportive. Il est appelé à mettre en place un plan de développement stratégique à cours, moyen et long terme ». Selon Abdeslam Ouaddou, Directeur Sportif de Loto Popo (club émanant d’une société d’Etat, notamment la Loterie Nationale du Bénin, LNB), « Un DS, c’est une ressource qui doit avoir une vision large sur le développement du département sportif dans un club. Il travaille en collaboration avec l’entraîneur. Il doit mettre en place une politique sportive qui ne repose pas seulement sur l’équipe première mais sur la formation et la mise en place des équipes de jeunes ». A les en croire, le DS doit d’abord être ce passionné par le sport et plus précisément, par le football. C’est celui-là qui doit être en mesure de travailler en équipe et qui dispose des compétences managériales (techniques et tactiques) pour mettre en place la structure (système de jeu, schéma de jeu, animations de jeu, etc) d’une équipe.
Mission et prérogatives des Directeurs Sportifs
Dans cette mission transversale, les DS des sociétés sportives d’Etat du Bénin ont eu des prérogatives un peu plus larges. « Les DS ont pour mission d’aider les clubs à se structurer, à adapter les modes de fonctionnement des sociétés à ceux des sociétés sportives », a déclaré Jean-Marc Adjovi Bocco, Conseiller Technique du ministre des Sports. « Le DS travaille pour apporter la visibilité et une bonne image de son club », a ajouté Idrissou Mountari. Pour Abdeslam Ouaddou, les DS des sociétés d’Etat au Bénin ont plus de prérogatives. « Comme les prérogatives qu’on a ici au Bénin… Le Directeur Sportif a pour mission d’encadrer les staffs techniques et essayer de les former. Il a aussi pour mission de les superviser. On doit aussi intervenir sur la possibilité de créer des partenariats, des ponts entre les clubs locaux et des clubs européens ou des académies », a-t-il conclu.
Un modèle économique énigmatique
Dans cette obligation contractuelle, le modèle économique mis en place reste un mystère, ou de moins n’est pas clairement perçu par tous les acteurs. D’abord, la mission première d’une société sportive, il y a les sorties (tout ce dont on a besoin pour faire fonctionner un club) et les entrées (entrées au stade, vente de maillots et gadgets, apports des sponsors, subventions, etc). Mais pour le cas béninois, les clubs s’autofinancent en partie et reçoivent des subventions de l’Etat. Or, il revient aux clubs professionnels de créer des conditions pour attirer des partenaires. Ce qui se révèle tel un parcours de combattant puisqu’ils n’ont pas un modèle économique séduisant et une gestion rigoureuse. « Le problème est que notre Fédération (la FBF) et notre Ligue Professionnelle doivent être capables d’aller chercher des partenaires, d’aller chercher des fonds qui permettront après distribution de financer le championnat. Si on doit attendre que ce soit l’Etat qui finance par des subventions, cela ne marchera pas. Et l’entreprise, pour des raisons de transparence doit bien utiliser les fonds. Tant qu’on n’aura pas cette rigueur, cette transparence dans la gestion des sociétés, on n’y arrivera pas », a déploré le Conseiller Technique du ministre des Sports Jean-Marc Bocco. Ce modèle peu viable varie d’un club à un autre au Bénin. « Le modèle économique aujourd’hui à Loto-Popo, c’est de mettre en place un Département de Communication et de Marketing avec un site internet pour fidéliser les gens. C’est vrai que ça tarde un peu », a laissé entendre Abdeslam Ouaddou. A l’en croire, il faut du temps pour expliquer avec tact et pédagogie pour essayer de changer ces habitudes qui constituent un frein au développement du club. «Mais, il faut aussi brusquer les choses pour avancer. Et lorsqu’on brusque les choses, ce n’est pas bien apprécié », s’est-il indigné. « C’est aussi essayer de créer une économie qui ne dépend pas seulement de la société mère. C’est vrai que la société mère donne des subventions. Mais petit-à-petit, il faut diversifier le modèle économique », a-t-il ajouté.
Des Directeurs Sportifs avec dépassement de fonctions ?
Pour certains, la mission du Directeur Sportif est claire. Par contre pour d’autres, elle est transversale. Ce qui créé parfois des malentendus entre le DS et ses collaborateurs. La tendance au Bénin, c’est que les DS dans leurs prérogatives plus larges veulent s’asseoir sur les bancs pour coacher. Un concept qui n’est pas très compris par certains béninois. « Donc, il y a eu une mécompréhension de certains qui disent que les DS ne sont pas des entraîneurs. Comme les clubs avaient su que la plupart des DS avaient des compétences d’entraîneurs, ils ont décidé que ces entraîneurs prennent ces clubs à l’image de Arsène Wenger en son temps à Arsenal et de Sir Alex Ferguson en son temps à Manchester United qui avaient tous les pouvoirs », a fait savoir le CT Jean-Marc Adjovi Bocco. « Compte tenu de nos prérogatives, il nous appartient de choisir des ressources pour la formation. J’ai ciblé un Directeur de formation que je n’ai jamais eu. Derrière, il y a la hiérarchie. Des fois, nous, on propose. Est-ce que c’est accepté ? Donc, ce n’est pas la faute aux DS », a laissé entendre Abdeslam Ouaddou. Il n’a pas manqué de souligner que ses prérogatives s’étendent jusqu’à la passation des marchés avec l’onction de la hiérarchie. « On peut proposer des équipements qui constituent l’image de marque de l’équipe. J’ai proposé des maillots, ça n’a pas été retenu. Mais j’ai proposé des ballons de Ligue1, des ballons allemands et ça a été retenu. J’ai proposé des buts mobiles qu’on a fait venir », s’est-il satisfait. Donc, ils agissent dans le strict respect des prérogatives à eux assignées.
La formation, le talon d’Achille du projet
Dans ce pacte contraignant, la formation qui devrait être le socle du projet est relégué au second plan. Pour les sociétés sportives, il faut concentrer toutes les énergies sur les équipes professionnelles. Alors que c’est la formation et la mise en place des équipes de catégories d’âge pour des clubs qui feront qu’à la longue, le projet puisse vraiment prospérer. Sans quoi, ce sera du gâchis. Selon Idrissou Mountari, « L’une des fonctions majeures d’un Directeur sportif, c’est de mettre la formation avec les catégories d’âge». Pour Abdeslam Ouaddou, il est important de mettre un point d’orgue sur le retard sur cet aspect du projet. « Sur ce point, nous sommes en retard. Je crois qu’avec la venue des DS, la formation aurait dû être plus collée carrément aux contrats. Là, on dit formation, oui ! Mais lorsqu’on regarde les sociétés sportives d’Etat, je n’en vois pas beaucoup qui l’ont mis en place. Si les Directeurs sportifs participent après trois ans sans avoir mis en place la formation, c’est un échec », a-t-il regretté. Mais pour le CT Jean-Marc Adjovi Bocco, il faut relativiser. « Le projet n’est pas concret parce que la mise en place d’un club, ce n’est pas que l’équipe senior. C’est mettre en place l’équipe réserve, les équipes U13, U15, U17 et U20. Si la Fédération met en place le championnat des catégories d’âge, les clubs auront l’obligation de constituer ces équipes », a-t-il dépassionné. Mais Abdeslam Ouaddou persiste et signe. « Le cœur du projet, c’est la formation ».
Un bilan moins reluisant
Trois ans après, le bilan de l’apport des Directeurs Sportifs des sociétés d’Etat à la professionnalisation du football béninois semble être loin de combler les attentes des différents acteurs. Il est d’ailleurs diversement apprécié. Pour Wahab Adam Chabi, Président de la Section de l’Apac, rien n’a changé du point de vue technique. « En comparant les résultats avant l’arrivée du DS et maintenant en ce qui concerne l’Aspac, rien n’a changé. Aucune progression, ni performance visible. Le système de jeu ou la qualité de jeu n’a pas changé », s’est-il indigné. Un point de vue que ne partage forcément le Conseiller Technique du ministre des Sports. « Le bilan pour moi, il est plutôt positif dans la mesure où les clubs sont bien structurés du point de vue administratif, du point de vue sportif », a-t-il indiqué. Toutefois, il y a quelques aspects positifs. « Par contre, les conditions de vie des athlètes et staff technique sont fortement améliorées. Salaires doublés, hébergement de tous, restaurant matin, midi et soir, stade personnel (félicitations au Gouvernement). Paiement régulier et à bonne date des primes et salaires », a ajouté Wahab Adam Chabi. Ce qui ne représente qu’une infirme partie du projet. « …Conséquences, bilan mitigé voire, non satisfaisant. Il faut repenser les choses », a-t-il martelé.
Les perspectives
Au-delà du bilan mitigé, il y a des points qu’il faut améliorer afin de rendre le projet plus viable. « Le projet initial des DS n’est pas une mauvaise chose. Dans l’application actuelle, on semble s’en écarter. Il faut retourner à ce projet initial qui avait été projeté pour en comprendre davantage. On se demande des fois si les autochtones ne pouvaient pas faire mieux. Il faut changer les DS qui n’ont pas un bilan à défendre et mettre quelques autochtones parmi eux pour booster la concurrence. Il en a de capables », a-t-il proposé. Cependant, ils sont prêts à continuer le travail. « Nous, on a envie de faire le maximum si on nous laisse travailler. On est capable de faire des choses si on nous laisse travailler, parce que ce n’est pas facile », a souhaité Abdeslam Ouaddou. Pour le CT Adjovi Bocco, l’arrivée des DS a tout de même révolutionné la gestion des sociétés sportives. « Comme tout projet, il n’est pas parfait. Quand ils étaient venus, ils s’étaient tous attachés à leur club alors qu’il y avait un objectif global. Celui de faire progresser l’ensemble du football au Bénin », a-t-il conclu. Donc, ce fut un échec. Il reste encore du chemin pour y arriver.
Réalisé par Ambroise ZINSOU
NOTE
Dans la réalisation de cette enquête, la Rédaction de VISA INFO s’est heurtée à un mur de silence de la part de certains Directeurs Sportifs des sociétés sportives d’Etat de même que les Directeurs généraux ou les Présidents de ces sociétés sportives. Ces responsables à divers niveaux ont opposé un refus catégorique de répondre à notre protocole de questionnaire. Un comportement contraire au premier paragraphe de l’article 7 de la loi N°2015-07 portant code de l’information et de la communication en République du Bénin. Toutefois, la Rédaction remercie ses sources qui n’ont ménagé aucun effort pour l’informer dans cette enquête.
La Rédaction